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La Symphonie de l'Univers

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11 octobre 2010

Je ne me souviens que de la tristesse et du froid

Je ne me souviens que de la tristesse et du froid qui recouvraient ma peau.
Cette immense maison avait été construite peu avant ma naissance. Elle suintait des perles noires de douleur et de colère. Sa bouche béante absorbait toutes les pensées joyeuses et recrachait une peur gluante, tel un crachat indélébile sur ses murs ternes.

Je devais avoir une dizaine d'années quand mes déambulations nocturnes commencèrent. Elles furent brèves et ne laissèrent en moi qu'une vague sensation froide sous la plante de mes pieds.
- Il ne manquait plus que ça, tu es somnambule maintenant ?  Décidément ...
On avait suivi mon petit corps habillé d'un pyjama jaune trop court descendre les escaliers dont les hautes marches recouvertes de lino rouge conduisaient à une cave humide puis remonter les trois étages jusqu'à ma chambre faisant naître derrière lui une farandole de lumières.

- Quand on réveille un somnambule, il meurt, alors ... on t'a laissée ... mais quand même, quelle idée de faire clairer la maison comme ça la nuit, il a fallu tout éteindre ... Décidément ...

Mes promenades nocturnes dont je n'avais pas le souvenir ont vite cessé.

Mes seuls compagnons restaient la tristesse, le froid et la nuit mais je m'accommodais assez bien de leur présence à vrai dire car ce qui me terrorisait le plus était de ne pas avoir la réponse à la question lancinante que je posais régulièrement :

- Que fais-tu ici ?

Je ne comprenais pas pourquoi je vivais dans cette maison, pourquoi j'étais entourée de choses laides, d'odeurs âcres, de personnes mesquines et médiocres, pourquoi le soleil ne me montrait que trop brièvement et trop timidement le spectacle radieux et chaud de ses rayons.

Pourquoi ? Pourquoi ? Je ne comprenais pas. J'avais le sentiment confus que j'avais connu une autre vie, une vie douce, bleutée, chaude et joyeuse et que ma place ne pouvait être entre ces mûrs oppressants. Mais comment en sortir ? Devais-je continuer à vivre ici dans le froid et la nuit ? A qui en parler ? On me réprimanderait encore.

- Décidément ... Ma pauvre fille tu es folle. Ou veux-tu aller ? Tu n'es pas bien ici ?

                                                                               *

Je suis restée des années apeurée et grelottante de froid, tapie dans un coin de ma vie sombre à me poser toujours et encore la même question et je n'avais pas de réponse. Lorsque je quittais mon repère de bête traquée par le désespoir, il m'arrivait parfois de traverser un champ de coquelicots et de sentir une douce brise sur ma joue hâlée par un soleil éclatant mais le ciel s'assombrissait très vite, des nuages gris et métalliques me poussaient vers des forêts aux arbres nus et brulés et je m'enlisais dans la boue de leurs chairs décomposées.

Étais-ce moi qui soufflait au vent de pousser ces gros nuages ? Pourquoi mes pieds nus devaient quitter l'herbe verte pour gémir dans la puanteur fétide de terres putréfiées ? On me répondait avec lassitude.

- Parce que c'est comme ça la vie, des hauts et des bas et plus souvent des bas. Il faut te résigner.

Et puis, un jour, je me suis mise à genoux sur une terre chaude et généreuse, des larmes coulaient sur mes joues.

- Merci.

Merci aux vents de détourner les nuages, merci au soleil de briller, merci aux fleurs de me donner leur beauté et leur parfum, merci. C'était si bon.  Pourquoi était-ce si bon ? Pourquoi cela arrivait-il ? On me répondait avec agacement

- Mais parce que tu le mérites, quand cesseras-tu de te poser des questions ?

Étaient-ce mes questions qui avaient assassinées les fleurs ? Étais-ce moi la créatrice de cette mer de pétales moisies, de ces tiges recouvertes d'épines ? Pourquoi cette terre était-elle devenue sables mouvants qui m'emportaient aux plus profonds de ses entrailles ?

Nuit, froid, peur et désespoir.

Pourquoi ?






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